Le Brexit

Une courte histoire du Brexit

Comment la Grande Bretagne en est-elle arrivée là ?



Comment le Brexit a-t-il pu avoir lieu ?  Et la Grande Bretagne reviendra-t-elle un jour?

Pourquoi le Premier Ministre britannique David Cameron a-t-il organisé un référendum sur le Brexit, et comment a-t-on pu en arriver au résultat inattendu et aux événements qui en ont découlé?
Index : La Grande Bretagne et l'Europe Le référendum et ses suites L'ordre post-Brexit ?
Page de synthèse

Au 31 janvier 2020, près de quatre ans après la tenue du référendum sur le Brexit, la Grande Bretagne a enfin quitté l'Union européenne. Puis le 31 décembre 2020 la "période de transition" s'est terminée. Désormais la Grande Bretagne - pour l'Union européenne - n'est qu'un pays tiers, comme l'Afghanistan ou la Somalie. Certes, un accord de libre échange a été arraché in extrémis, le fameux "no deal" a été évité.
   
Mais le fait que les partisans du Brexit ne representaient plus fin 2020 selon les sondages, qu'un petit tiers de la population britannique, n'a entamé en rien la détermination idéologique du gouvernement de Boris Johnson de mener à terme son projet et "get Brexit done". La chose est donc actée.

  Quand la Grande Bretagne voudra-t-elle réintégrer la famille européenne?

Impossible de savoir.  L'histoire du référendum a tellement divisé le pays qu'aucun leader politique ne sera prêt avant un certain temps à recommencer une telle aventure. L'exemple flagrant est que plus de 5 ans après le référendum, et alors que la Grande Bretagne connaît de sérieuses difficultés sociales et économiques, le parti Travailliste, dont la majorité des membres sont farouchement hostiles au Brexit, reste toujours incapable de prendre une position officielle sur le Brexit ni sur un nouveau référendum ni sur une éventuelle réadhésion du Royaume Uni à l'Union européenne.
   L'équipe dirigeante du parti Travailliste reste tétanisée par la peur de ne pas pouvoir regagner (car elle l'a déjà perdue) une partie de sa base électorale, cette partie de la classe ouvrière britannique qui a succombé au mythe populiste et souverainiste et qui croit toujours, grâce aux médias populistes comme le Daily Express ou le Daily Mail, que les problèmes actuelles de la Grande Bretagne sont la faute à l'Europe et n'ont rien à faire avec le Brexit.
   Ainsi, malgré les problèmes, et malgré le fait que les Conservateurs sont au pouvoir depuis plus de dix ans, le parti Travailliste reste à la traîne dans les sondages, toujours perçu (à juste titre) comme étant divisé, inefficace comme force d'opposition, et sans ligne politique claire. Et sans opposition effective, les Conservateurs ont la main libre.
   [Réactualisation début 2024: depuis le débâcle de la fin de l'administration Johnson, et le bref et désastreux passage aux commandeds de la Grande Bretagne de Liz Truss, la situation a beaucoup changé, et depuis fin 2022 les Travaillistes affichent une avance de 20 points ou plus sur les Conservateurs dans les sondages. En mars 2024, un sondage prévoyait une déroute des Conservateurs aux élections prévues vers la fin de l'année. ]
 
   Une nouvelle demande d'adhésion de la Grande Bretagne paraît donc très lointaine.  D'autres changements sont peut-être plus proches, et prépareront le retour du Royaume Uni (ou ce qu'il en reste) dans le giron européen.  Une réintégration du programme Erasmus,  une nouvelle participation à d'autres programmes européens,  un retour dans l'union douanière, même une réintégration au Marché unique (qui, ne l'oublions pas, fut surtout la réalisition de Margaret Thatcher).
  Tout cela mettra vraisemblablement des années.... et ce n'est qu'à ce moment là, lorsque plus personne ne croira aux chimères du Brexit,  que les politiques pourront envisager un retour du pays au sein de l'Union européenne.
   Combien de temps faudra-t-il? Sans boule de cristal, impossible de savoir. Si une partie (minoritaire) de la population reste acquise au Brexit malgré vents et marées, ce qui reste encore la situation au printemps 2024, le retour du Royaume Uni au giron européen ne se fera pas avant de longues années. Si en revanche le chimère du Brexit s'effondre de manière cataclysmique et avec une rapidité imprévue, à la suite d'un événement imprévu ou d'un revirement de situation, tout pourra aller très vite.

  En 2024, l'avenir européen de la Grande Bretagne reste très incertain. Il reste pourtant  une chose qui est certaine depuis bien avant le référendum, à savoir qu'il y a en Grande Bretagne un tiers de la population qui veut et a toujours voulu quitter l'UE, un tiers qui considère que le Brexit est la plus folle idée imposée par un gouvernement britannique depuis plusieurs siècles, et un tiers qui soit s'en fiche complètement, soit n'y comprend rien, soit vacille entre être pour et être contre.
   Ainsi, depuis des années, des sondages montraient toujours que l'opinion publique était divisée sur la question de l'adhésion, puis de l'appartenance de la Grande Bretagne à la CEE devenue par la suite l'Union européenne. En règle général, les pro-européens restaient majoritaires, mais les partisans d'une Grande Bretagne isolationniste – souverainistes, néo-libéraux, marxistes et autres – représentaient toujours une minorité forte.
    Plus significativement,  il restait un consensus entre les instances dirigeantes des trois grands partis politiques, Conservateurs, Travaillistes et Libéraux, que la place de la Grande Bretagne était désormais au sein du Marché commun, puis de l'Union européenne. Par contre, il subsistait au sein des deux plus grands partis, Conservateurs et Travaillistes, ceux qui se relayaient au gouvernement depuis les années 1920, une frange anti-européenne. Chez les Travaillistes, l'aile gauche du parti considérait le Marché Commun comme un grand complot capitaliste. Chez les Conservateurs, l'aile droite du parti – nostalgiques de l'Empire, néo-libéraux, libertaires et souverainistes – considéraient le Marché commun, puis encore plus l'Union européenne, comme une grosse machine bureaucratique, un pouvoir supra-national et/ou une main-mise sur la souveraineté nationale.

Aux sources du problème

   Dans l'histoire de la construction européenne, la Grande Bretagne a été, et restera malgré elle, une influence puissante. Un des premiers à se rallier à l'idée d'une Europe unie fut Churchill qui dès 1930 soutenait le plan du premier ministre français Aristide Briand  préconisant la création d'une "union fédérale européenne", à propos de laquelle Churchill a écrit qu'il ne verrait rien que du bien dans une "communauté européenne" plus riche et plus libre. Plus tard dans son célèbre Discours de Zurich de 1946, il traça de manière plus détaillée la voie pour la création d'une communauté européenne  "unie dans le partage de son patrimoine commun", et de conclure "We must build a kind of United States of Europe".
   Non sans raison, Churchill fait partie du groupe des 11 pères fondateurs de l’Europe reconnus par l'Union européenne.

   Toutefois les premières relations entre la Grande Bretagne et le Marché Commun n'étaient pas faites pour soulever un élan de soutien populaire auprès du peuple britannique en faveur de cette instance "continentale". D'abord le Marché Commun avait vu le jour en 1957 sans les Britanniques, qui n'en voulaient pas au début ;  ensuite, quand le premier ministre conservateur MacMillan a fait en 1963 la première demande d'adhésion britannique, cette demande a été sommairement balayée  par le président français de l'époque, le général de Gaulle. De Gaulle a même récidivé quatre ans plus tard au moment de la seconde demande d'adhésion britannique, faite par le gouvernement travailliste de Harold Wilson.  Ce second "non" fut perçu dans l'opinion publique en Grande Bretagne comme un camouflet de la part d'un homme que le pays avait accueilli sur son sol à Londres pendant trois ans durant la Seconde guerre mondiale.
   Ainsi, quand enfin – après la mort de De Gaulle – la Grande Bretagne, sous le Premier ministre Conservateur Edward Heath,  a adhéré à la CEE au 1° janvier 1973, ce fut sans feux d'artifices ni liesse populaire.
   Au contraire, les souverainistes et les nostalgiques de l'Empire, soutenues par une partie de la presse populaire, prenaient la CEE comme bouc émissaire pour tout ce qui n'allait pas en Grande Bretagne. L'Europe, c'était pour le panier de la ménagère, remplacer du beurre produit par des agriculteurs efficaces, nos cousins néo-zélandais, par du beurre deux fois plus cher produit par l'agriculture encore inefficace du continent européen. L'argument était très convaincant, car au début de 1973, une livre de beurre coûtait en moyenne £0.22 dans un supermarché britannique, contre £.0.41 au Danemark, et £0.54 en France.
  Un an après l'entrée du Royaume uni au à la CEE, et face aux débuts d'une crise économique en Grande Bretagne, les Conservateurs ont été battus aux élections de 1974, et remplacés par un gouvernement Travailliste mené par Harold Wilson... qui avait promis de revoir sérieusement l'adhésion de la Grande Bretagne au Marché Commun. Wilson a respecté son engagement, et a orgnisé le premier référendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans le Marché Commun, lequel a eu lieu un an plus tard en 1975. Légèrement eurosceptique en opposition, Wilson était pourtant devenu tout à fait europhile une fois au pouvoir et a fermement appélé à voter "oui" à l'Europe lors de ce premier référendum ; résultat, les Britanniques ont voté à 65% pour rester au sein de Marché Commun.

  Pendant une décennie après ce premier référendum, la question de la position de la Grande Bretagne n'était plus à l'ordre du jour. Cela n'a pas empêché la presse populiste de droite à très grande diffusion, menée par le Sun, le Daily Mail et le Daily Express, de mener sa propre campagne contre ce qu'elle considérait comme les absurdités et les ingérences de la CEE dans la vie des Britanniques. Mais politiquement, la position de la Grande Bretagne au sein de l'Europe était acceptée comme un fait accompli ; même la nouvelle Première Ministre conservatrice, Margaret Thatcher, élue en 1979, ne mettait pas en cause la position de la Grande Bretagne comme membre du Marché Commun.  Au contraire ; elle admettait, certes, que certains aspects de la gouvernance et du rôle des instances européennes dévaient changer, mais elle croyait encore à l'Europe, et s'est attelée à la tâche d'améliorer la CEE de l'intérieur. En cela elle a remarquablement bien réussi.
  Thatcher était même une des architectes de la transformation de la CEE en Union européenne.  L'histoire a déjà un peu vite oublié (surtout en Grande Bretagne) que l'Acte Unique Européen de 1985,  désignant la voie vers le traité de Maastricht, fut le fruit d'une collaboration étroite entre Margaret Thatcher et Jacques Delors, et fut largement rédigé par le Commissaire européen conservateur britannique Arthur Cockfield, nommé spécialement à cette tâche par Margaret Thatcher.
   Pourtant, pendant ses années au pouvoir, Thatcher a changé, et avec elle sa perception de l'Europe. L'Acte Unique Européen fut ratifié en 1987. Peu après, ou même avant, elle commençait à avoir des doutes sur la direction prise par la construction européenne. Son célèbre "Discours de Bruges" prononcé le 20 septembre 1988 est considéré dans les milieux eurosceptiques britanniques comme le point de départ de la campagne pour sortir de l'Europe. Il n'en fut rien. Même si dans ce célèbre discours elle a sévèrement critiqué les projets supranationaux de la Commission européenne, la Dame de Fer y a dit, sans aucune ambiguïté,  "And let me be quite clear. Britain does not dream of some cosy, isolated existence on the fringes of the European Community. Our destiny is in Europe, as part of the Community. "

   Le mal était pourtant fait.  Saisissant les critiques émises par Thatcher à l'égard de la CEE, l'aile droite du Parti Conservateur est devenu plus ouvertement eurosceptique, provoquant une réaction de la part des europhiles majoritaires, qui considéraient que la première ministre perdait la boussole. A peine deux ans après le Discours de Bruges, et avant la signature du Traité de Maastricht, Thatcher est contrainte à la démission par son propre parti, et c'est l'europhile John Major qui devient le nouveau leader, et nouveau premier ministre.
   Pendant vingt ans, de 1990 à 2010, la Grande Bretagne connaît sa période la plus "européenne", avec trois premiers ministres, le Conservateur Major, puis les Travaillistes Blair et Brown, tous europhiles, faisant de la Grande Bretagne un acteur de taille dans l'évolution de la CEE, qui devient en 1993 l'Union européenne. Mais c'est pendant cette période, et notamment pendant les 13 ans de gouvernement travailliste de 1997 à 2010, que l'euroscepticisme prend de plus en plus d'ampleur au Parti Conservateur.
   Les divisions internes historiques au sein du Parti s'intensifient, et sont exacerbées par la naissance, sur le terrain occupé traditionnellement par la droite du Parti Conservateur, d'un nouveau parti ouvertement souverainiste, prônant la sortie de l'Union européenne, et nommé UKIP (UK Independence Party). Le Parti Conservateur se trouve dans une situation difficile ; l'euroscepticisme est surtout présent à la base, et parmi son électorat traditionnel ; les cadres du parti, et la grande majorité des élus nationaux, sont très largement europhiles. La situation devient très difficile à gérer pour le parti, tiraillé entre ceux qui craignent de voir une partie  la base électorale partir vers l'UKIP, et  ceux qui sont très attachés à l'Europe. Quand, en 2010, le parti revient au pouvoir avec David Cameron, celui-ci, de centre droite et très europhile, doit faire face à une montée en puissance des voix eurosceptiques sur sa droite, comme d'une presse populiste de plus en plus eurosceptique et d'une montée dans les sondages de l'UKIP. Au sein du parti, de plus en plus de voix s'élèvent pour demander un nouveau référendum sur le maintien de la Grande Bretagne au sein de l'Union européenne ; en revanche, dans le pays en général, en dehors des partis de droite, l'idée d'un nouveau référendum n'est pas du tout un sujet d'actualité.

Vers un nouveau référendum

   Toutefois, en 2015, à la veille d'éléctions législatives dont le résultat n'est pas du tout connu d'avance, Cameron cède aux exigences de l'aile droite et souverainiste de son parti, et accepte d'organiser, s'il est réélu,  un second référendum sur le maintien de la Grande Bretagne au sein de l'Union. Il pense ainsi ramener au Parti Conservateur des électeurs tentés par par l'extrème droite, et mettre fin dans son parti (peut-être une fois et pour toutes) à une fracture dangereuse et coûteuse ; et bien entendu, il croit fermement que le peuple britannique votera encore une fois comme en 1967, et largement en faveur du maintien de leur pays comme membre de l'Union européenne. Tous les sondages donnent le "oui" à l'Europe gagnant ; ou presque tous.
    Cameron est réélu, et fidèle à sa parole annonce un nouveau référendum pour juin 2016. Très vite, cela devient le "référendum sur le Brexit". Cameron est si confiant qu'il gagnera son référendum – lui,  jeune Premier Ministre populaire, qui vient d'être réélu avec la plus grande majorité Conservatrice depuis plus de 30 ans – qu'il ne met en place aucune condition, aucune "majorité qualifiée", ni aucun plan au cas où les Britanniques le désavoueraient et voteraient en faveur du Brexit. Les Britanniques allaient rejeter le Brexit, et ainsi permettre à Cameron de régler ses comptes avec les eurosceptiques au sein de son parti, et d'en sortir encore aggrandi.

   Le scénario était clairement écrit, mais la réalité n'a pas suivi. Au référendum du 23 juin 2016, porté par une campagne tambours battants dans la presse populiste de droite et par une campagne en faveur du "Leave" (quitter) imaginée par un guru d'extrème droite et portée par le flamboyant et très ambitieux ancien Maire de Londres Boris Johnson,  le Brexit l'a emporté contre toute attente ; et à l'horreur de Cameron comme d'une bonne partie des députés et du monde économique britannique, la Grande Bretagne s'est mise en marche vers la sortie de l'Union européenne.

  Cameron avait commis en même temps deux des plus grandes fautes qu'un chef d'état puisse commettre : 1, croire en son infaillabilité personnelle, au point d'organiser un référendum sans conditions et sans plan en cas de rejet ;  et 2. mettre entre les mains du peuple mal informé, et non du parlement et de la diplomatie, une décision de politique internationale engageant de manière fondamentale l'avenir et la prospérité du pays.

  On connait la suite.  Cameron a démissionné, et après quelques remous au sein du Parti Conservateur a été remplacé comme premier ministre par Thérésa May, chargée d'appliquer le "voeu du peuple" issu du référendum.
   Le choix de May comme première ministre fut un compromis néfaste pour les Conservateurs. Le candidat préféré des militants était Boris Johnson, mais ce dernier avait trop d'ennemis. May a donc remporté une victoire par défaut, et a ensuite présidé pendant trois ans sur des gouvernements et sur un parlement en désarroi, et sur un pays qui – sans le flegme traditionnel des Britanniques – aurait pu être au bord de l'insurrection tant les divisions d'opinion sur le Brexit étaient fortes.
   Les années May auraient pu être moins difficiles. May avait hérité à la Chambre des communes d'une majorité  conservatrice absolue certes faible, mais quand même majoritaire ; toutefois à l'automne 2016 son gouvernement s'est vu traduire devant la Cour suprème pour abus de pouvoir dans la manière où il cherchait à forcer le passage des préparatifs du Brexit sans l'aval du parlement, et le gouvernement a perdu. Dans d'autres circonstances, cela aurait provoqué immédiatement la démission du gouvernement et de nouvelles élections, mais dans la situation effervescente du moment, la démission n'était pas à l'ordre du jour, du moins pas immédiatement.
   Puis après quelques mois d'hésitations pendant lesquels elle jurait qu'elle ne provoquerit pas de nouvelles éléctions, May a annoncé des élections legislatives anticipées pour juin 2017, espérant pouvoir augmenter sa majorité. Mais comme en 2016, la réalité n'a pas suivi le scénario prévu, et au lieu d'augmenter sa majorité à la Chambre des Communes, May l'a perdue. Ainsi, pour rester au pouvoir et éviter la formation d'un gouvernement Travailliste, elle a dû former un gouvernement minoritaire avec l'appui du Parti protestant d'Irlande du Nord DUP (Democratic Unionist Party).

Vers un nouvel ordre

   A la tête d'un gouvernement minoritaire maintenu au pouvoir par les Protestants d'Irlande du Nord, May a donc poursuivi les négociations avec l'Union européenne, tout en étant au merci d'un parlement où la minorité Conservatrice devenait encore plus minoritaire au fil des mois, suite à des défections en série. Faire accepter un projet d'accord par ses propres ministres était déjà difficile; le faire voter au Parlement était encore plus difficile, et par trois fois May est venue au parlement pour obtenir la ratification de son "accord" avec Bruxelles, et trois fois les députés ont refusé. May est tout de même restée aux commandes jusqu'au lendemain des élections européennes de 2019, où le Parti Conservateur a essuyé un échec historique, perdant presque tous ses Eurodéputés au bénéfice du nouveau Brexit Party.
   Dans des circonstances normales, une telle situation aurait été une aubaine pour l'Opposition, et un gouvernement Conservateur minoritaire et impopulaire aurait vite été contraint à la démission par une motion de censure. Avec un gouvernement au plus bas dans les sondages, l'opposition Travailliste aurait dû pouvoir réclamer de nouvelles élections législatives qu'elle aurait remporté haut la main. Mais depuis 2015, les Conservateurs bénéficiaient d'un puissant allié malgré lui, dans la personne du leader du Parti Travailliste Jeremy Corbyn.
Marche contre le Brexit 23.03.2019
Marche contre le Brexit, aux allures de Carnaval tragique
   Si May était impopulaire, tous les sondages montraient que le leader Travailliste etait encore plus impopulaire qu'elle. Très à gauche, un peu comme un vieux Mélanchon sans carisme, Corbyn était à lui seul une machine à perdre des élections, car le spectre d'un "Gouvernement Corbyn" faisait encore plus peur dans l'électorat et même chez de nombreux élus Travaillistes que le mainten aux commandes du gouvernement May. Ainsi malgré son impopularité, malgré ses échecs à répétition, Theresa May a pu rester au pouvoir jusqu'à l'été 2019 lorsqu'à la suite des élections européennes désastreuses pour le parti, elle a passé la main non sans trépidations à son successeur choisi par les militants du parti, Boris Johnson. 
   Au fait, le gouvernement minoritaire de May a été maintenu au pouvoir par défaut pendant deux ans au plus fort des préparatifs du Brexit, par une Chambre des Communes craintive du résultat de nouvelles élections. Du côté des Travaillistes, nombreux députés restaient convaincus que Corbyn ne pouvait jamais gagner, et que l'alternatif serait un gouvernement plus à droite que celui de May ; du côté des Conservateurs, nombreux députés craignaient une victoire de Corbyn si même un quart de l'électorat traditionnel Conservateur, lassé par l'impasse sur le Brexit, venaient à voter UKIP. Quant aux Libéraux-Démocrates, résolument hostiles au Brexit, ils gardaient espoir, grâce aux difficultéés du gouvernement May, de pouvoir faire organiser un nouveau référendum, qui aurait (selon les sondages) mis fin à l'aventure du Brexit.
   L'impasse fut enfin brisée à l'automne 2019 quand le nouveau premier ministre Boris Johnson a enfin réussi à faire approuver par le Parlement, par une faible majorité, la tenue de nouvelles élections. Les Travaillistes pensaient qu'ils pourraient enfin l'emporter compte tenu de la profonde impopularité des Conservateurs, et que les électeurs leur reviendraient malgré Corbyn et malgré le flou de leur programme ; de leur côté les Libéraux Démocrates, avec les rebelles europhiles des deux grands partis, pensaient faire un grand retour à la Chambre des communes en promettant de stopper le Brexit.
   En l'occurrence, il n'en fut rien. La machine à gagner qui avait permis aux Brexiteurs de remporter le référendum de 2016 était toujours active,  et elle est revenue avec un nouveau slogan gagnant "Get Brexit done". Jeremy Corbyn a réussi l'exploit inédit de perdre trois éléctions législatives de suite, et cela face à un des gouvernements les plus impopulaires de tout temps. Ainsi entre la peur du "chaos" d'un gouvernemnent travailliste très à gauche, et l'inconnu total d'un gouvernement de coalition comprenant le Brexit Party, l'électorat est revenu en nombre suffisant (43% des votants) au Parti Conservateur, donnant à Johnson au lendemain des élections législatives de décembre 2019 une majorité de 80 sièges à la Chambre des Communes. Le compte à rebours vers le Brexit avait recommencé.

Chaos of a hard Brexit
La crainte d'un Brexit dur qui provoquera une paralysie partielle de l'économie, avec transformation des axes autour de Douvres en énormes parkings à camions. Et cette photo est prise bien avant le Brexit....
  Johnson a immédiatement fait valider par le gouvernement et le parlement son calendrier, et le 31 janvier 2020, la Grande Bretagne a enfin quitté l'Union européenne.
   La période dite "de transition" a duré jusqu'à la fin de l'année. Pendant ce temps la Grande Bretagne est restée soumise aux règles européennes et faisait toujours partie du Marché unique. Les négociations se sont poursuivis avec Bruxelles, et cela malgré la pandémie du covid-19, pour déterminer les relations entre la Grande Bretagne et l'Union  à partir du 1° janvier 2021. Mais même si  depuis 2018 le Parti Conservateur est de plus en plus aux mains des Eurosceptiques, l'argument sur la forme à long terme du Brexit reste non-résolu, même au sein du parti.
   Parmi les grandes questions épineuses, celle du statut de l'Irlande du nord, région britannique ayant une frontière terrestre avec un pays de l'Union européenne, reste flou. Selon les accords trouvés en décembre 2020, l'Irlande du nord - pourtant région deu Royaume Uni reste  dans un espace douanier sans frontière avec son voisin la République d'Irlande.  Par contre, depuis janvier 2021, une nouvelle frontière douanière existe désormais entre la Grande Bretagne (la grande île britannique) et l'Irlande du Nord .....  au sein même du Royaume Uni, qui devient aisi un peu moins uni qu'avant. Cette solution, qui permet de sauvegarder les Accords du Vendredi Saint pour la paix en Irlande, déplaît sérieusement aux plus ardents Brexiteurs... et pour cause. Le rattachement douanier de l'Irlande du Nord (actuellement région du Royaume Uni)  et la République d'Irlande, pays membre de l'Union européenne, marque probablement le premier grand pas vers la réunification de l'Irlande, et un pas vers l'éclatement du Royaume uni.

  Pendant des mois, Johnson a pu réussir en faisant des promesses contradictoires aux uns et aux autres sans avoir à préciser exactement dans quelle situation serait la Grande Bretagne à partir de janvier 2021. Désormais ce n'est plus possible. L'accord a été signé, le Royaume uni a quitté l'UE, et il y a  inéluctablement de nombreux mécontents.  
   Avant la signature des accords du Brexit, les mécontents ne représentaient que ceux (déjà la moitié de la population) qui ne voulaient pas de Brexit du tout, sous quelque forme que ce soit. Désormais ils ont été rejoints par ceux pour qui le Brexit tel qu'il a eu lieu  n'est pas le Brexit dont ils rêvaient – soit qu'il est trop dur, soit qu'il laisse en place trop de liens entre le Royaume Uni et l'Union européenne.
   Mais le Brexit est fait, au grand dam de beaucoup de Britanniques et à l'euphorie d'autres. Le Covid est pourtant venu gâcher la fête pour les uns, brouiller la donne pour d'autres. Il servira pendant un certain temps de bouc émissaire à tenir responsable de tout ce qui ne va plus après le Brexit, de la croissance du chômage, des retards de livraison, des pertes d'emploi, des augmentations inévitables des impôts, même des nouvelles tracasseries pour les Britanniques aux frontières.
    Le Brexit a beau être fait ; en ce qui concerne ses retombées même à court terme, on n'est pas encore sorti de l'auberge. En 2021 l'économie britannique s'était certes redressée après les dégats causés par le covid, mais elle se redresse plus lentement que l'économie de l'UE. Le commerce international britannique a chuté, particulièrement pour les PME massacrées par les nouvelles paperasseries et taxes liées désormais au commerce avec les pays de l'UE.  Selon les derniers sondages, il ne reste plus qu'un quart de la population à penser que le Brexit aura été avantageux pour le pays; et les Conservateurs ont essuyé de sérieux échecs lors de deux élections législatives partielles à l'automne 2021, perdant deux circonscriptions traditionnellement bastions du conservatisme - les deux au profit des très-européens Libéraux-Démocrates.
     Au début de 2021, au moment où le Royaume-Uni quittait définitivement l'Union européenne à la fin de la "période de transition", Boris Johnson clamait grandiosement que le Brexit était "fait".  Il n'en est rien : en 2022, alors que d'immenses problèmes liés au Brexit continuaient de secouer de nombreux secteurs de l'économie britannique,  le Brexit était tout sauf "done". Au contraire, c'était Boris Johnson qui était "done" – ayant été contraint à la démission à l'été 2022 à la suite du "Partygate".... la révélation qu'il avait assisté pendant la période du confinement covid à plusieurs fêtes bien arrosées mais bien interdites, et avait menti au parlement.
     Ainsi en septembre 2022 le dossier Brexit, fut brièvement repris avec tous les autres problèmes britanniques (inflation, perte de pouvoir d'achat, problèmes de services publics, tensions sur le marché du travail et sur la livre) par la nouvelle première ministre Liz Truss, choisie comme auparavant Johnson par les militants du parti... mais cette fois-ci contre l'avis de la majorité des députés Conservateurs.
    Le gouvernement Truss était composé surtout de membres de l'aile droite du Parti Conservateur qui souhaitaient déchirer toute la législation britannique héritée de l'Union européenne, surtout en matière d'environnement et d'acquis sociaux. Truss l'a annoncé pendant les premiers jours de son mandat, une fois le deuil de la Reine Elizabeth terminé : mais la réaction a été immédiate Quelques jours après l'annonce, les présidents des trois plus grandes associations britanniques pour la défence de l'environnement et de la nature (the Wildlife Trust, the National Trust et la SPO britannique... trois associations très middle class), représentant plus de 8 millions de membres, meancent de passer à l'action directe si le gouvernement devait abroger des lois protégeant l'environnement. Truss est restée seulement 49 jour aux commandes de la nation.
    Son successeur, Rishi Sunak, a réussi à améliorer les relations entre la Grande Bretagne et l'Union européenne, signant avec la présidente de la Commission européenne le Windsor Framework, compromis sur l'épineuse question de l'Irlande du Nord qui maintient un petit pied dans l'UE et un grand pied dans le Royaume Uni. Mais c'est un pis-aller, non une solution. Même Sunak l'avait admis, en louant l' "unique" situation de l'Irlande de Nord qui bénéficiait des avantages d'une ouverture sur l'UE en même temps que sur le marché britannique.... sans rappeler que ce fut le Royaume Uni entier qui bénéficiait de ces avantages avant le Brexit......
    Choisi sur un élan d'enthousiasme après le passage catastrophique de Liz Truss au 10 Downing Street, Sunak a rapidement déchanté ; et depuis 2023 le Parti Conservateur dégringole dans les sondages.Début 2024 tous les sondages prévoyaient un ras de marée Travailliste aux élections prévues avant la fin de l'année.
    On peut ainsi penser que c'est en 2025 que commençera un lent et difficile détricotage du Brexit. D'ici là, et jusqu'au jour des élections, le Parti Travailliste, tétanisé par la peur de ne pas retrouver ses électeurs dans les circonscriptions ouvrières du "Red Wall" qui ont massivement soutenu le Brexit, fera tout pour éviter de parler du Brexit et faire croire qu'il ne reviendra sur rien. Le Parti suivra.
    Après, le discours changera.
  
Andrew Rossiter
Ancien maître de conférences à l'université de Franche-Comté

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David Cameron
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